La participation est une question que nous situons sur un terrain éminemment politique et non pas seulement technique. Les modalités imaginées en fonction des contextes et des processus ont pour visée principale de contribuer à restaurer, augmenter des espaces de débats publics avec une recherche d’horizontalisation des positions dans les discussions, d’où l’accent mis centralement sur les processus et la dimension expérientielle des mises à l’épreuve dans nos propositions. Ainsi nous considérons dans ces chantiers qu’il s’agit :
- d’ouvrir les visions de la participation au delà des dispositifs qui sont le plus souvent supposés les incarner ;
- de mettre en évidence ou soutenir l’émergence de corps intermédiaires mobilisés ;
- d’étayer-renforcer les interfaces entre la vision externe en quelque sorte de la participation et la vision vécue.
Pour approfondir ces questions avec nous :
Nadine Souchard et Eleonora Banovich, Pourquoi co-opérer? Faire émerger le sens d’une mobilisation collective. Une expérience avec les acteurs de la solidarité et de la coopération internationale, revue Agencement, n°4, décembre 2020, pp 176 à 205.PDF Pourquoi co-opérer?
Nadine Souchard et Eleonora Banovich, 2018, Expérimentations et tensions autour des questions participatives : soutenir une politique publique et/ou soutenir les publics ? Des acteurs de la solidarité et de la coopération internationale à la recherche d’un commun régional en Bretagne. Rapport pour le compte de la région Bretagne, CCB.
Nadine Souchard et Eleonora Banovich, 2018, Faire l’expérience de la participation dans le cadre d’une politique publique, Les acteurs de la solidarité et de la coopération internationale en Bretagne à la recherche d’un nouveau modèle organisationnel, Note de synthèse et préconisations- CCB.
Soutenir une politique publique en donnant corps aux publics : un enjeu de légitimité démocratique
Prendre au sérieux la participation suppose de prendre quelques distances avec les approches technicistes qui traversent les dispositifs institutionnels et qui témoignent d’une forme d’impréparation et d’impensés politiques contemporains majeurs. Le terme est de fait relativement piégé aujourd’hui dans nos débats parce qu’il en est venu à traduire une forme d’injonction plus ou moins explicite à venir contribuer à une chose publique largement construite hors de ces espaces dédiés. Pour notre part, nous préférons le terme de mobilisation à celui de participation car il présente l’avantage d’être ouvert sur l’idée d’un continuum politique entre des expériences ordinaires et des formes de mobilisation variées vers un positionnement plus affiché dans le débat public. Comment peut-on alors agir des mobilisations en lien avec la vie des institutions ? Peut-on penser des espaces d’interfaces qui soient instituants?
L’expression du débat public dans les scènes participatives instituées est fréquemment réduite à des nouvelles arènes du consentement. Pour autant il y a aujourd’hui une tension intrinsèque dans ce type de démarche qu’il convient de penser : la faiblesse de la participation dans les nouveaux dispositifs est souvent vécue par leurs instigateurs comme une limite des politiques publiques contemporaines du fait d’une légitimité démocratique amoindrie. Pour autant le travail d’accompagnement, en référence à la démocratie participative, ne peut se contenter de renforcer les dispositifs, il doit prendre au sérieux la consolidation des publics afin que, dans les arènes dédiées, ces derniers puissent débattre, construire, faire valoir, faire reconnaître, partager des questions, orientations, problèmes, et donc identifier des communs. Il s’agit en quelque sorte de donner corps à ces publics. C’est à cette condition nous semble t-il que les espaces dédiés peuvent être possiblement instituants, c’est à dire qu’une porosité, certes relative, peut se développer du politique. Cela ne signifie pas que tout le champ de la mobilisation de la société civile se situe dans les institutions mais qu’une partie entre en débat et en résonance parce que des intérêts communs se construisent.
Problématiser la participation, un enjeu important pour identifier de possibles communs
Le développement de dispositifs participatifs est fréquemment analysé à partir des nouvelles promesses, qu’ils porteraient en germe, d’association des citoyens à des décisions les concernant, s’appuyant sur le constat, par ailleurs, d’un certain délitement du lien politique.
Mais aujourd’hui la multiplication et la circulation d’une ingénierie participative (au niveau national mais aussi transnational) font courir le risque d’une approche techniciste et pour tout dire dépolitisée de la participation. Désormais inscrite dans les registres d’action des pouvoirs publics, travaillant à des nouvelles sources de légitimité, elle s’inscrirait dans les formes institutionnelles de la démocratie, travaillant à son actualisation par le « haut ». Elle constituerait une nouvelle modalité de résolution de questions publiques mais aussi d’accompagnement des nouvelles politiques sociales.
Mais la participation fait aussi l’objet de critiques ou du moins de réticences du fait de son caractère de plus en plus insaisissable, prenant le risque même d’une dissolution de ses finalités : désormais « elle serait multi-acteurs, multi-arènes, multi-formes ». Cette orientation labile et, pour tout dire, consensuelle limiterait ainsi la consolidation d’identités d’action et les revendications des mouvements de la société civile, que la participation était pourtant supposée accueillir, pour mieux les prendre en compte. Le risque que la machine à participer se grippe est bien réel.
Pour que ce débat participatif ne tourne pas à vide, et que nous ne soyons pas réduits à des mesures quantitatives du succès d’une politique publique à l’aune des effectifs présents, ou à l’exigence d’une présence citoyenne, via le tirage au sort, il est important de problématiser la participation, c’est à dire d’essayer d’identifier, avec les personnes mobilisées mais aussi à travers la littérature, les questions qui traversent le champ concerné. Problématiser c’est donc d’abord contextualiser la participation pour éviter que les enjeux participatifs ne soient déconnectées des questions qui mobilisent les acteurs de la société civile. Mais problématiser c’est aussi mettre en mouvement les personnes mobilisées, pour qu’à travers la circulation d’argumentaires émergent des préoccupations et des envies d’agir collectivement.
La production de communs renvoie ici aux enjeux de construction d’un « intérêt général terriorialisé » ( par distinction avec les notions d’intérêt public et/ou national) car le sens reste en effet à produire par la délibération collective. D’où une attention particulière portée sur les processus qui construisent progressivement un bien commun localisé assurant la cohérence et la légitimité des décisions. Pour autant les politiques qui s’appuient sur ces processus participatifs ne sont pas un long fleuve tranquille car elles mobilisent des identités d’action non réductibles aux positions initiales. Elles s’affrontent et se transforment, organisant un changement relationnel entre des positions. Ces politiques ouvrent sur une pluralité d’interprétations et d’analyses de la participation qui ne peut plus simplement être pensée à partir des institutions, mais qui doit prendre en compte la façon dont les personnes concernées, les publics, font émerger, définissent et pensent aussi les problèmes publics.
La participation des citoyens peut ainsi parfois mettre en tension la légitimité élective des élus et l’expertise des techniciens. La participation vient possiblement introduire un trouble dans la distribution du pouvoir local entre élus et techniciens. Cependant les processus d’apprentissages réciproques permettraient progressivement à chacun de trouver leur place dans une dynamique de construction collective localisé de l’intérêt général.
Ouvrir les sens de la participation
« Considérée comme une idée, la démocratie n’est pas un principe de la vie sociale parmi d’autres possibles. Elle est l’idée de la communauté elle-même » (J. Dewey cité par Zask, 2015).
La focale mise sur les dispositifs participatifs court le risque de réduire l’angle de vision des contributions de la société civile à la chose publique, sorte de trou noir provoqué par le leitmotiv participatif de nos sociétés contemporaines. Il convient donc de bien dissocier, d’un côté l’offre institutionnelle de participation qui obéit à des objectifs internes et, de l’autre, des espaces de revendication plus ou moins formalisés d’un partage du pouvoir. La prise en compte de la critique sociale et militante a d’ailleurs fait évoluer récemment les approches théoriques critiques en réintégrant, par exemple, la question du conflit latent ou explicite comme moteur démocratique. C’est le cas des théories féministes, dont Nancy Fraiser est une des représentantes majeures, mais aussi des approches communautaires, comme le Community Organising récemment importées en France qui posent que « le conflit est au cœur même d’une société libre et ouverte », comme le formule de façon heureuse Alinsky, « si l’on devait traduire la démocratie en musique, le thème majeur serait « l’harmonie de la dissonance » » (cité par Gourgues, 2013).
On doit en effet considérer que les acteurs du champ politique institué n’ont pas le monopole de l’émergence des espaces publics et plus largement de l’action publique, comme l’a fort bien théorisé J. Dewey : » la politique n’étant plus conceptualisée comme relevant d’un espace constitué a priori et stable (le « politique comme chose ») mais bien selon John Dewey , comme un principe d’enquête et d’exploration du monde (le « politique comme activité »), il est possible d’en trouver désormais l’écho dans « l’expérience ordinaire, dans le flux de la vie de tous les jours des personnes et des collectifs » (Weisbein, 2017).
Ces orientations proposent donc un décentrement important de la question de l’engagement et de la citoyenneté, déconnectées d’approches normatives et portent un intérêt assez central « aux arrières scènes participatives » (même si ce dernier terme nous semble toujours ambivalent car il réintroduirait une hiérarchie en terme de légitimité politique).
Il est en effet important de ne pas considérer que les dispositifs ont une capacité d’auto-engendrement de la démocratie mais que cette discussion doit s’inscrire dans une lecture un peu fine et incarnée des processus en cours. Ainsi il convient de souligner que la circulation d’une notion comme celle de participation ne doit pas pour autant faire l’économie d’une réflexion ouverte sur sa signification profondément démocratique. De ce point de vue, ouvrir la focale au-delà des dispositifs est essentiel afin de s’appuyer sur des objets qui fassent progressivement commun. Le chemin proposé par D. Cefaï (2016), à la suite de J. Dewey, est stimulant. Nous le traduisons dans le programme d’action suivant : identifier la nature des troubles, soutenir l’émergence et la formalisation des problèmes, favoriser la construction des publics, et penser collectivement la nature des arènes…
Pour approfondir …
Bresson Maryse, 2007/2, « Peut-on parler d’un échec de la participation dans les quartiers « sensibles » en France ? Réflexion sur la pluralité des attentes et les confusions autour de ce thème », Pensée plurielle (n° 15), p. 121-128.
Carrel Marion, 2013, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Lyon, ENS Éditions, 274 p.
Cefaï Daniel, 2016, « Publics, problèmes publics, arènes publiques… Que nous apprend le pragmatisme ? Questions de communication, n°30, p. 25-64.
Dardot Pierre, Laval Christian, 2010/1, « Du public au commun », Revue du Mauss, n°35, p.111 à 122.
Gourges Guillaume, 2015/3, « La participation publique, nouvelle servitude volontaire ? », Hermès La revue, n°73, p.83-89.
Gourges Guillaume, 2013, « Gouvernementalité et participation. Lectures critiques », Participations, n°6, p.5-33.
Jouve B., 2007, “Gouvernance, démocratie participative et diversité culturelle : quels enjeux pour les villes ”, document pour le PREDAT Ile de France, 27 mars 2007.
Mazeaud A., Sa Vilas Boas M.H., Bethomé G-E-K., 2012/1, «Penser les effets de la participation sur l’action publique à partir de ses impensés », Participation, n°2, p.5-29.
Rosanvallon P., 2008, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil.
Talpin J, 2016, Community organising. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux USA, Raison d’agir, col. Cours et Travaux.
Weisbein J., 2017, « Vers un agenda de recherche sur les politisations ordinaires au sein de la sociologie politique française ? À propos de L’ordinaire du politique : enquêtes sur les rapports profanes au politique, dirigé par François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot et Sabine Rozier », Politix, 2017/3 (n° 119), p. 147-160. DOI : 10.3917/pox.119.0147. URL : https://www.cairn.info/revue-politix-2017-3-page-147.htm
Zask Joelle, 2015, Introduction à John Dewey, La Découverte, col. Repères.
Chantiers réalisés
2016-2018 Appui à la structuration d’une plateforme régionale multi-acteurs de la Solidarités et de la Coopération internationale auprès de la région Bretagne, CCB- N.Souchard er E. Banovich.
2012 : Animation d’un ACORA ( Atelier Coopératif de Recherche-Action) dans le cadre de la création d’un observatoire partagé de la jeunesse (Ploemeur-56) et participation à l’organisation du forum départemental sur la jeunesse « Faire société avec les jeunes »-avril 2013, CCB-N. Souchard